Un sacré coup de vieux

Hier soir, je suis tombé sur des photos de moi dans vingt ans.

Je fouillais un des tiroirs de la commode à la recherche d’un article découpé dans un journal et que j’étais sûr d’avoir conservé dans un dossier, quand j’ai vu les pochettes de photos rangées là. Je savais ce qu’elles contenaient, pour la plupart, les enfants, les vacances, les soirées, ce genre de souvenirs. Je ne sais pourquoi, une de ces pochettes a attiré mon attention. Sans doute parce qu’elle avait l’air moins usée que les autres.

Je l’ai ouverte, elle contenait une quinzaine de photographies couleur. Sur la première, on me voyait assis dans un fauteuil de cuir, une couverture sur les genoux. J’avais les mains appuyées sur les accoudoirs et on aurait dit que je dormais. En tout cas, j’avais les yeux fermés. Mais ce n’est pas ce qui m’a choqué. C’est le fait qu’il ne me restait plus que quelques touffes de cheveux blancs au-dessus des oreilles et que mon crâne était couvert de taches sombres. Mes épaules étaient affaissées. J’ai d’abord cru qu’il s’agissait de mon père, mais il n’avait jamais porté la barbe, alors que les joues flapies de l’homme qu’on voyait sur cette photo étaient couvertes d’un poil grisâtre.

J’ai regardé la deuxième photo. Sur celle-là, j’étais debout, mais je ne tenais en équilibre que grâce à une canne de bois verni que je serrais dans la main gauche. Je portais des lunettes noires et j’étais vêtu d’une chemise à carreaux, du genre de celles que j’ai toujours détestées.

Sur la troisième photo, il y avait mon visage en plan rapproché. J’essayais de sourire, mais un côté de ma bouche restait visiblement figé et un peu de salive s’écoulait du coin de mes lèvres tordues. Ce qui était clair, c’est que j’avais pris un sacré coup de vieux.

J’ai jeté le paquet de photos au milieu des autres enveloppes, envahi par la colère. Qui donc s’était permis de me faire une plaisanterie aussi cruelle ? Et quels efforts cette personne avait-elle dû accomplir pour parvenir à ce résultat ? Sans doute s’agissait-il d’un comédien professionnel qui avait passé des heures à se grimer pour prendre l’apparence d’un vieillard ayant des traits rappelant les miens. Mais dans quel but ? Je n’arrivais pas à le comprendre.

Je suis resté un long moment devant le tiroir ouvert, si longtemps que lorsque je me suis redressé, j’avais le bas du dos un peu ankylosé.

Je n’ai pas pu me retenir de m’emparer à nouveau de la pochette de photos. J’ai songé qu’il était étrange qu’on fasse encore des photos imprimées sur papier glacé dans vingt ans, comme si j’avais déjà accepté le fait que ces clichés, d’une manière ou d’une autre, étaient arrivés dans ce tiroir en provenance du futur.

J’ai tenu la quinzaine de photos, avant d’oser les contempler. Ma main tremblait un peu. Et puis, je les ai passées en revue, lentement. J’étais le seul personnage qu’on y apercevait. Ma femme n’était présente sur aucune d’elles, pas plus que mes deux enfants. Il n’y avait que moi. Sur l’une des photos, j’étais attablé devant une assiette au contenu étrange. On aurait dit une bouillie habituellement destinée aux jeunes enfants. J’étais apparemment réticent à manger cette mixture peu appétissante. Sur un autre cliché, je tenais un chien en laisse, un chien noir aux yeux brillants, moi qui ai toujours détesté les chiens.

C’est sans doute ce dernier détail qui m’a fait comprendre qu’il s’agissait en fin de compte d’une supercherie. Je ne savais pas encore qui avait pu me faire une blague comme celle-là, mais cette fois, cela ne me laissait plus aucun doute.

J’ai refermé la pochette et je l’ai replacée dans le tiroir. Je m’étais demandé un moment si j’allais appeler ma femme pour lui montrer ce que je venais de trouver, mais je me suis dit qu’elle serait sans doute aussi bouleversée que je l’avais été en découvrant ces horribles photos. Si bien que la meilleure chose à faire était de les ignorer, tout simplement comme si elles n’existaient pas. Et celui qui m’avait joué ce mauvais tour en serait pour ses frais.

J’ai traversé le couloir à petits pas. J’ai cherché ma femme, mais elle n’était ni dans la cuisine, ni au salon. Je n’entendais aucun bruit, c’était curieux. La télé était allumée, mais le son avait été coupé. J’ai contemplé le fauteuil de cuir rangé dans un coin. Il y avait une couverture disposée sur un des accoudoirs. Sa vue m’a fait vaciller sur mes jambes. Heureusement, j’ai aperçu une canne juste à proximité, et j’ai pu la saisir avant de tomber.

J’ai quitté le salon et je suis allé dans la chambre. En passant devant le miroir accroché au fond du couloir, j’ai remarqué que j’étais vêtu d’une chemise à carreaux. J’ai soudain était envahi d’une grande lassitude. Je suis allé m’asseoir au bord de mon lit, la respiration hésitante. Au bout d’un moment, j’ai dit : « Blacky ? Tu es là ? »

Un chien noir est entré dans la pièce. Il est venu poser la tête sur mon genou et m’a regardé de ses yeux jaunes.

Après quoi, je me suis allongé sur mon lit, et j’ai attendu.

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Nous n’en aurons jamais fini avec la violence

Un ouvrage d’une puissance terrible et terrifiante. Un style toujours clair mais digne de la plus haute littérature. Une analyse de l’ensemble des manifestations de violence ayant cours au sein des sociétés humaines. Que l’on ne peut absorber qu’à petites doses, mais en y revenant toujours, comme un alcool fort. Et, au bout du compte, un constat désespérant. La culture n’est pas ce qui permet aux hommes de s’éloigner de la violence. Celle-ci est au contraire intrinsèque à toute culture et à toute société.

sofsky

« Si les hommes interrompent par moments destructions et meurtres, ce n’est pas dans un accès soudain de philanthropie ou de modération morale, c’est parce qu’à la longue on ne peut pas vivre avec la violence, et qu’ils en ont assez — jusqu’à ce que la faim revienne. Ces intervalles pacifiques ne sont que des épisodes, ces âges d’or ne durent que quelques années, quelques décennies tout au plus. Dans les annales de la culture et de la société, ce ne sont que des pages blanches. »

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Un rasoir et une perle

Lus en vrac ces derniers temps, quelques textes classiques de la littérature française (eh oui, quand on lit en numérique, on charge des textes gratuits, par-ci, par-là, parce qu’ils sont gratuits justement, et si faciles à mettre sur une liseuse ou une tablette et à emporter partout. Vous le saviez que j’aimais ça. Non?).

Je suis ainsi tombé sur un roman d’Octave Mirbeau, L’Abbé Jules. J’avais des souvenirs d’une lecture lointaine du Jardin des supplices, et du Journal d’une femme de chambre (et plus encore de la couverture de celui-ci dans mon édition au Livre de poche, avec Jeanne Moreau qui se laisse déchausser, l’air vaguement dégoûtée, par un vieux monsieur…).

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Mais cet Abbé Jules est sans doute le pensum le plus rasoir que j’ai pu lire depuis longtemps. Des pages et des pages sur les tourments d’âme de cet abbé, des dialogues creux répétés des dizaines si pas des centaines de fois (oui, Octave, on a saisi que tes petits bourgeois sont des ânes, pas besoin de nous asséner cette découverte jusqu’à la litanie), une construction bancale et passablement irréaliste, le comble pour un disciple de Zola. Au final, un bouquin qui a perdu tout ce qui faisait sans doute son intérêt à la fin du XIXème. Admiré par Maupassant, paraît-il. On ne sait exactement pourquoi. Maupassant, dont je viens également de lire Bel-Ami (oui, je sais, j’aurais dû lire ce bouquin depuis longtemps, si j’avais vraiment la culture que je prétends posséder…).

Bel-Ami? Un chef-d’oeuvre, rien de moins. Toujours aussi cruel et grinçant, toujours aussi passionnant qu’il a pu l’être à sa parution. Maupassant mériterait d’être bien plus haut qu’il l’est déjà au panthéon des grands écrivains.

Vous connaissez d’autres classiques rasoirs du genre de l’Abbé Jules? Que je m’épargne de la lecture fastidieuse. Merci d’avance.

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Comme ça se prononce

Je viens de tomber sur un bouquin de Somerset Maugham, dont j’avais lu quelques nouvelles il y a de ça plusieurs années. Passée la soixantaine, Maugham décide de faire le point, de rédiger le bilan de sa vie et de ses multiples carrières. Il appelle ça « The summing up ».

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Le bilan, en français, donc, titre non traduit dans l’édition parue aux éditions du Rocher (par les soins de quelqu’un que je connais bien, n’est-ce pas, Paul?). Une lecture qui devrait être obligatoire, si jamais vous vous mettez en tête l’idée saugrenue d’écrire — ça existe, oui, des gens comme ça. Maugham parle de son boulot de manière très précise et très prosaïque. Il a écrit de nombreuses pièces de théâtre qui lui apporté la fortune, il a lu en détail les nouvelles de Maupassant et de Tchekhov. Avec un humour à froid évidemment british, il parle de ce qu’est le métier d’écrivain, à ses yeux. Et aussi un peu de la nature humaine et des personnages qu’il lui est arrivé de fréquenter au cours de sa longue existence. Il parle de lui, sans fard. Remarquable, à bien des égards. Et qui donne furieusement envie de se replonger dans d’autres textes de Maugham.

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(Ah, oui, à propos. Comme ça se prononce? Pas du tout. On doit dire « Mome », avec un long o ouvert.)

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Dans Victoire ce samedi, un moine

Dans Victoire ce samedi, un moine

N’ayez pas peur.

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5 février 2013 · 9 h 16 min

Novice et ciment

« Je devrais être un sage. A l’age que j’ai, et avec trois ou quatre dizaines de textes publiés derrière moi, l’affaire devrait être entendue.

Et pourtant, à chaque fois, j’ai l’impression de recommencer de zéro. Comme si l’expérience n’avait pas pris (comme on dit d’un ciment qui durcit en séchant), comme si je me trouvais à chaque fois dans la peau du novice qui tâtonne et qui espère d’une manière ou d’une autre découvrir les moyens d’aboutir. »

shakespeare-in-love-98-04-g

Billet retrouvé dans les papiers rangés en tas à la gauche du clavier, sous le dictionnaire.

(Bon, ben, ça commence fort aujourd’hui… A part ça, tout va bien?)

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Les Portugais sont priés de ne pas lire ceci

L’été dernier, je publiais sur le site Bela « Une semaine de vacances », feuilleton en 8 épisodes relatant de manière loufoque mon séjour en famille au Portugal. Bruno Wajskop, des éditions La Muette, a eu l’idée saugrenue de publier ça en papier, avec sept autres  textes parus sur le même site au fil des mois.

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Sortie prévue pour la foire du livre de Bruxelles, début mars donc. Sachez que depuis la parution de ce feuilleton, je suis à tout jamais interdit de territoire au Portugal, les douaniers ayant reçu la consigne de m’abattre sans sommation s’ils m’apercevaient. (Je plaisante. Quoique…)

L’ouvrage sera agrémenté de photos de chacun des auteurs, confronté à des oeuvres d’art contemporain. Je ne vous raconte pas la confrontation. Ou plutôt si, je vous raconterai ça, une prochaine fois. Et je vous montrerai la photo, si ça vous intéresse.

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Les meilleurs bouquins d’un tout grand

Voilà longtemps que je réponds « Le Théâtre de Sabbath » aux gens qui me demandent celui des romans de Philip Roth que je préfère. Je pense qu’il a atteint là un sommet. Il a dernièrement décidé d’arrêter d’écrire, il a entrepris de relire ses propres bouquins, pour faire le point en quelque sorte, et c’est ce même livre qu’il considère comme un de ses meilleurs, d’après Actualitté, relayant un article paru dans le Chicago Tribune.

 (On dirait bien que je cherche obstinément des points communs entre lui et moi, comme si on pouvait appartenir d’une manière ou d’une autre au même monde. Ah, pauvre de moi…).

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J’ai lu pas mal de romans de Roth, je compte m’attaquer à son petit dernier très bientôt, mais « Le Théâtre de Sabbath » reste toujours au-dessus du panier. Même si ce n’est pas celui que je recommanderais à quelqu’un qui n’aurait jamais rien lu de lui et qui aurait l’envie d’essayer. Pour ça, peut-être que « Portnoy » est plus indiqué. Ou « Professeur de désir ».

Et vous? Vous avez lu des romans de Philip Roth? Lesquels conseilleriez-vous?

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Digne de Stevenson, paraît-il

Digne de Stevenson, paraît-il

Dommage que l’Oeil du milieu ne soit plus disponible pour l’instant. On dirait que ça peut encore intéresser certains lecteurs (cliquez donc sur la photo pour lire l’avis de l’un d’eux). Si vous connaissez un éditeur jeunesse, vous pouvez lui dire que je tiens les droits de cette série à sa disposition.

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12 janvier 2013 · 10 h 50 min

Les trois contraintes

http://cnesobservatoire-leseditions.fr/Entretiens-Video/28

Petite séquence filmée à l’occasion de la sortie d’Espace(s), recueil organisé par le CNES à Paris. Toujours étrange de s’entendre parler et de se voir bouger. Mais bon, avec un peu d’ego, ça reste supportable… Le principal, je pense, c’est que je me reconnaisse dans ce type un peu trop barbu qui essaie de construire des phrases pas trop bancales, tout en cherchant à montrer qu’il est cool et que cet attirail de spots et de caméras autour de lui ne l’impressionne pas vraiment.
(En fait, j’adore ça, les sunlights, on ne vous l’avait pas dit, les gars?)

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11 janvier 2013 · 8 h 59 min